Jean-Philippe Nuel, architecte d’intérieur © Jean-François Jaussaud

Qu’est-ce qui vous attire particulièrement dans les projets de reconversion comme celui de l’hôtel Molitor ?

Même si cela peut paraître un paradoxe, je trouve, qu’aujourd’hui, ce sont ceux qui permettent le plus de créativité. Oui, il y a des contraintes, mais elles deviennent des sources d’inspiration, des opportunités. D’un point de vue architectural, et plus particulièrement concernant la volumétrie, ce sont les projets les plus intéressants car beaucoup moins normés que dans le neuf. Il n’y a que là que vous trouverez de grands atriums ou des doubles hauteurs, sans que cela provoque une levée de boucliers ! Au-delà du style et de l’époque, les caractéristiques de ces bâtiments rendent leurs espaces plus qualitatifs. Au Molitor, au lieu d’avoir, comme dans presque tous les hôtels, les chambres de part et d’autre d’un couloir, vous n’en avez que d’un seul côté. Cela crée des circulations en suspension, d’un côté au-dessus de Roland-Garros, de l’autre au-dessus du stade Jean-Bouin. J’aime aussi imaginer des projets qui nous ressemblent, en résonance avec ce que nous sommes, et ces reconversions le sont d’autant plus que nous sommes attachés à notre histoire, à notre patrimoine. C’est notre ADN. Il y a donc un équilibre à trouver entre le patrimoine et la modernité, qui rend la recherche et le travail de conception plus subtils. Mes parents aimaient l’art contemporain, tout en habitant dans des maisons anciennes : j’ai baigné dans ce mélange, donc cela doit être aussi quelque part inscrit dans mes gènes.

Comment vous nourrissez-vous de l’histoire des lieux pour composer votre projet ?

Je fais des recherches sur le lieu, son histoire, son architecte. Mais c’est aussi quelque chose de très intuitif, comme se promener dans la ville, le quartier. Il faut s’imprégner du lieu d’une façon encyclopédique, mais aussi de manière plus sensorielle. Pour le Molitor, j’avais des anecdotes multiples de Parisiens qui le connaissaient bien. Mis bout à bout, ces témoignages touchants ont constitué une toile de fond.

Quel a été le fil conducteur du projet ?

La piscine Molitor est restée pendant une grande partie du XXe siècle un lieu emblématique de la vie parisienne. Si le projet est constitué comme une promenade à travers le temps, il est également une promenade dans un lieu très riche d’espaces divers et variés : les bassins, les coursives, le spa, les salles de sport, les salles privatisables et le restaurant gastronomique sont atypiques et donnent tout son caractère au Molitor.

Comment avez-vous travaillé l’entrée ?

Plein axe, la célèbre Rolls Royce taguée par John Wayne fait écho à la période street art du bâtiment. Comme le plafond laissé volontairement apparent, cette voiture emblématique est le prolongement naturel de l’urbanité de ce projet ancré dans la ville. Le caractère in progress contraste avec des éléments plus précieux : les desks évoquent de petites boîtes à pilules des années 1930, des voilages structurent l’espace et apportent une fragilité, des faux plafonds partiels traités en miroir jouent avec les éléments techniques tout en démultipliant la Rolls Royce. Dans les salons, des tapis sur mesure introduisent la gamme chromatique extérieure d’ocre jaune. Le mobilier mixe des pièces contemporaines avec des éléments chinés.

Quelle a été la ligne directrice de l’aménagement du restaurant ?

Le restaurant, avec son plafond années 1930 reconstitué à l’identique, est pensé comme un espace en reconversion : un lieu historique devenant une galerie d’exposition, un restaurant éphémère où sont exposés des tirages grands formats de Thomas Jorion, gros plans de tags photographiés avant la démolition. Ainsi zoomés, ils deviennent un tableau contemporain et abstrait, dans une même approche graphique, et dialoguent avec les vitraux historiques. Les mobiliers sont multiples et s’organisent de manière informelle pour marquer l’esprit nomade.

Selon vous, quelles sont les conditions qui sous-tendent la réussite d’un projet de reconversion ?

La réussite découle d’abord d’un vrai travail en équipe. Au Molitor, l’architecte des monuments historiques Alain-Charles Perrot avait réalisé un cahier patrimonial, avec des éléments aussi à l’intérieur, même si ce dernier n’était pas classé. Cela a été pour moi un outil très utile. De même, au début des études, tout le monde pensait que cette piscine était blanche. Mais, les tests ont révélé qu’historiquement les façades étaient dans des tons ocre assez foncés. Cela a fait un tollé dans le quartier ! Heureusement, les intervenants du patrimoine n’ont pas fait que gratter les couches de peinture : ils ont aussi retrouvé un vieux guide touristique Michelin daté de 1930, dans lequel était écrit : « Si vous longez Molitor peint dans un ocre soutenu... » J’ai donc utilisé cette découverte pour composer mon projet, alors qu’à l’origine je ne serais jamais parti sur cette gamme de couleur. Manager un projet, c’est encourager tout le monde à donner le meilleur de soi-même. Dans notre mission, nous n’avons pas la maîtrise d’exécution, et donc pas un contact journalier avec les artisans pendant les travaux. Néanmoins, pour les lots décoratifs, il y a tout un travail en amont avec des échantillons, des prototypes, des plans d’exécution qu’il faut valider : toutes ces phases impliquent une grande proximité qui amène beaucoup d’échanges pouvant être à double sens, qui appuient concept tout en l’enrichissant. Un projet réussi c’est aussi comprendre le bâtiment, pas seulement dans sa forme ou son expression architecturale, mais dans sa grammaire. Il faut toujours aller au-delà de l’enveloppe stylistique du bâtiment en essayant d’en comprendre les fondements.

Propos recueillis par Jordi Patillon.

Projet Hôtel Le Molitor, reconversion d’une piscine de 1929 en hôtel 5*

© Jean-François Jaussaud