Qu’est-ce qui vous séduit dans les projets de reconversion comme celui de la Station F ?

Ce qui me plaît, c’est de concevoir l’intervention architecturale comme une optimisation de l’existant, et investir le lieu pour lui redonner vie, ou tout au moins une nouvelle vie… Concrètement, cela veut dire conserver tout ou partie de l’édifice en lui adjoignant des portions contemporaines nécessaires à son nouvel usage : c’est ce que j’ai appelé la « greffe contemporaine ». Celle-ci peut être tout à fait visible, mais aussi parfaitement insoupçonnable. Ce type de projet est par nature magnifique, parce qu’il nous permet d’orchestrer la continuité du récit urbain, entre passé, présent et avenir… Et concourt à la lisibilité de l’identité des villes, pour que chacun puisse se rattacher à une histoire, qui le façonne autant qu’il la produit. La reconversion du patrimoine va dans le sens du mieux vivre ensemble.

Comment apporter une plus-value architecturale contemporaine sans faire perdre du sens au bâtiment reconverti ?

Il faut toujours agir avec beaucoup de respect vis-à-vis du bâtiment. La première des choses est de bien comprendre l’identité architecturale de l’édifice, identifier ses qualités intrinsèques : pour en tirer parti, tout d’abord, et pour les magnifier surtout ! Révéler la force et la noblesse et garder l’esprit d’origine, c’est ce qui doit guider lorsque l’on se pose les questions : « qu’est-ce que l’on garde ? Qu’est-ce que l’on supprime ? Qu’est-ce que l’on rajoute ? » Par ailleurs, quel que soit l’âge du bâtiment, il ne faut jamais oublier que nous sommes dans les années 2020 : il ne faut donc pas être passéiste et refuser absolument le pastiche ! Accepter calmement la rencontre – le mariage – de deux époques, et ne pas l’esquiver. Car c’est l’intervention contemporaine qui éclaire et met en lumière le passé du bâtiment, dans une mise en valeur réciproque. Bien sûr, il faut le faire avec douceur, subtilité, jouer des contrastes, ou au contraire de la continuité… Le choix des matériaux participe beaucoup de ce dialogue entre passé et présent. On ne parle pas ici de geste architectural, mais de fonctionnement du bâtiment. L’intervention est là pour faire revivre l’édifice dans le cadre d’un nouvel usage, c’est-à-dire d’un nouveau programme : nouveaux espaces , meilleure circulation, prestations aux normes de l’époque (isolation, sécurité, confort, etc.). Et de cet ensemble de contraintes, patiné d’inventivité, naît la forme contemporaine, qui est toujours le fruit d’une composition rigoureuse.

En quoi était-il primordial de reconvertir cet édifice de la Halle Freyssinet ?

En plus de ses remarquables qualités architecturales, la structure de la halle est le premier exemple connu de mise en œuvre en béton précontraint. Rappelons qu’elle a échappé au pire puisqu’il fut question un temps d’y loger des commerces ou de la transformer en tribunal de grande instance. Chaque fois, le bâtiment aurait disparu, du moins aurait-il perdu son caractère unique et ses qualités intrinsèques. La Station F est adaptée au lieu puisqu’elle en occupe toute la volumétrie : l’intelligence du projet tient dans son programme qui s’insère dans l’ouvrage sans en défigurer la structure. L’intérêt de l’intervention, en laissant visible les voûtes en béton et la perspective sur la longueur du bâtiment, est d’avoir préservé ce patrimoine industriel : il est mis en majesté par sa mutation et non dissimulé par le programme.

Comment l’aménagement reflète-t-il les besoins spécifiques des start-up qui l’occupent ?

Les start-up sont effectivement au cœur de ce projet. Nous nous sommes demandé quel était leur fonctionnement, d’une manière générale et au sein de ce bâtiment en particulier, en gardant à l’esprit que ce dernier ne pouvait être cloisonné à l’envi. C’est ainsi que nous avons fait émerger le concept de village, c’est-à-dire une unité spatiale et fonctionnelle comprenant une zone centrale de convivialité avec cuisine, deux petites salles de réunion, un noyau technique regroupant escaliers, sanitaires et gaines techniques, enfin deux plateaux de coworking pouvant accueillir environ 120 personnes. Cette organisation par village segmente l’espace sans le fermer. Nous avons beaucoup travaillé sur cette idée de base – qui permet en outre une plus grande modularité – en veillant à ce qu’elle réponde aux contraintes imposées par le bâtiment. Nous sommes d’ailleurs allés puiser une partie de notre inspiration auprès des acteurs clés du monde des start-up et de l’économie numérique, comme le NUMA et l’incubateur The Family.

Propos recueillis par Jordi Patillon.

(c) Jean Grisoni