Qu’est-ce qui vous attire, en tant que créateur, dans les projets de reconversion ?

Dans ces programmes, il y a une âme qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. Intervenir sur ce qui a été créé par d’autres par le passé, dans lequel des gens ont vécu, cela entraîne un dialogue fructueux et donne à l’espace une qualité très fragile. Mais il ne faut pas oublier qu’un patrimoine qui est exceptionnel aujourd’hui, l’était déjà à son époque ; surtout lorsqu’il était pensé avec une volonté d’avant-garde, comme Notre-Dame ou la tour Eiffel. Nous construisons maintenant le patrimoine de demain et ce qui est noble n’est pas forcément ce qui est vieux, c’est essayer de faire quelque chose d’exceptionnel. Seul le temps dira si cela fait partie du patrimoine.
 

Quelles sont vos premières démarches sur un projet comme l’’hôtel-restaurant 4* de Fontevraud-l’Abbaye?

Ma première démarche, surtout quand il s’agit de transformer un lieu un peu froid où l’on doit introduire la notion de confort, va être de comprendre comment l’espace a été conçu, son énergie propre. Ensuite, il faut essayer de réfléchir à la manière d’articuler le mieux possible un programme dans cet espace donné. Nous avons passé beaucoup de temps à déplacer les éléments du programme : où sera le bar ? Le restaurant ? Les cuisines ? Nous jouons un peu à Tetris, en essayant de nous projeter dans une fonctionnalité, mais aussi dans une expérience. Et la seule façon de le faire est de passer beaucoup de temps dans le lieu. Et de croire en ses intuitions : avec mon associé Sanjit Manku, nous basons tout sur notre ressenti. Notre approche est complètement intuitive, animale. Ensuite, nous utilisons les contraintes et les défauts du lieu comme point de départ pour venir glisser notre projet de manière non décorative. Les choses sont séparées : on comprend très bien ce qui est patrimonial et ce qui est nouveau. Celui qui ne vient voir qu’une abbaye du XIIe siècle, par exemple, ne sera pas perturbé dans son expérience. Il doit toujours y avoir un respect avec ce qui est déjà là.

Comment vous nourrissez-vous de l’histoire des lieux pour composer votre projet ?

À Fontevraud, nous nous sommes dit : « Les moines de l’époque travaillaient avec les artisans qui étaient autour d’eux, donc nous allons faire pareil. » Et nous nous sommes aperçus qu’on trouvait tout autour de nous ! Pour la vaisselle, par exemple, nous sommes allés voir le potier du village d’à côté et tout a été fait chez lui. Les autres artisans autour aussi étaient ravis de travailler sur ce projet : c’est chez eux, c’est leur patrimoine, leur territoire. Mais, même avec leurs machines à commande numérique, il va falloir que ce qu’ils produisent puisse être en dialogue avec ce qui est déjà là. Dans ces projets, nous sommes donc obligés de faire les choses correctement, d’avoir l’amour du travail bien fait.
 

Quels ont été les plus gros défis de cette transformation ?

Nous nous sommes glissés dans le prieuré sans effraction, cherchant juste à nous imprégner de son passé et de sa singularité. Il était important d’y insuffler notre vision contemporaine, mais dans le respect de son histoire. Nous ne voulions pas que le visiteur oublie où il se trouve, pour lui offrir une expérience étroitement liée aux lieux, lui permettre de s’approprier des fragments du passé dans des conditions de confort adaptées. Restait, pour y parvenir, à relever les contraintes imposées par la protection du bâtiment : l’impossibilité notamment de toucher aux plafonds et aux murs.
 

Quel a été le fil rouge pour imaginer les aménagements intérieurs ?

La création de meubles malins et de micro-architecures innovantes, comme l’utilisation de matériaux authentiques, ont permis de répondre aux problématiques thermique et acoustique, ainsi qu’au manque de lumière naturelle. Des formes simples et élégantes dictées par le besoin de l’usage. Des ambiances épurées, fluides et essentielles qui résonnent ici à l’unisson des hauteurs sous plafond et des murs millénaires. Ce que nous proposons ici n’est pas une expérience classique, mais quelque chose d’unique, un voyage entre tradition et modernité, qui conjugue émotion, plaisir des sens et poésie.
 

Que représente pour vous un projet de reconversion réussi ?

Un projet réussi c’est un travail d’équipe, de formidables artisans, de super techniciens et de spécialistes, un dialogue qui doit s’installer entre tous. Pour lutter contre le froid à Fontevraud, j’ai proposé d’installer un chauffage par le sol. Ce qui était compliqué c’était d’y toucher, sans avoir l’habilité de comprendre si ce sol était original, et si il  pouvait être démonté, etc. C’est l’architecte en chef des monuments historiques, Gabor Mester de Parajd, qui a donné son aval et qui est même allé plus loin, puisque nous avons pu tout remettre à niveau, rendant les lieux plus fluides et accessibles pour les personnes à mobilité réduite. Nous avons donc amélioré le lieu sans pour autant lui faire perdre ses qualités.

Découvrez le projet Fontevraud-l’Abbaye, reconversion d’un monastère du XIIe siècle en hôtel-restaurant 4*

(c) Benoit Linero